Après une semaine de travail, de pression, de stress, de fatigue accumulés dans ce milieu artificialisé et bruyant qu’est la cité, le corps comme l’esprit réclament une mise au vert bien “naturelle” et nous répondons à cet appel.
Quel plaisir plus pacifique et ressourçant que la contemplation de la nature ? L’arpenter humblement, avec discrétion, dans le respect du tout. S’y mouvoir en paix, et s’y émouvoir des parfums, des tons changeant, des rencontres furtives, des ambiances.
Tout avait bien commencé lors de cette promenade dominicale du 25 septembre 2011 dans la montagne noire, au dessus de Mazamet (Tarn). Nous avons laissé le véhicule sur la route goudronnée et emprunté la piste forestière à pas lents. Le soleil pointait ses premiers rayons à travers les branches de la hêtraie et nous caressait le visage, tout était calme, nous ne parlions pas, Samy le chien à nos côté, la marche était méditative.
Au bout d’un kilomètre un moteur se fit entendre, il ne tarda pas à se porter à notre hauteur, c’était un 4x4 avec à son bord un homme d’une cinquantaine d’année. L’homme baissa sa vitre et je m’approchai de lui, comme il se devait. Il m’alerta qu’une battue allait commencer et nous invita à la prudence, nous acquiesçâmes tout en l’invitant à en faire de même. Notre « conseilleur » ajouta que le secteur était privé et qu’en l’occurrence nous devrions posséder une autorisation de circuler ; mais de panneau indiquant son affirmation nous n’en avions pas vu trace ; il poursuivi en arguant qu’il payait pour pouvoir chasser sur cette propriété et qu’à ce titre nous devions faire demi-tour. Nous lui répondîmes que nous prenions nos responsabilités, qu’aucun panneau indiquant une propriété privée ou une battue n’étaient visibles et que par conséquent nous allions poursuivre notre chemin, sans quitter la piste, par prudence. Alors il s’emporta en criant que « nous lui cassions les c……s » et qu’il allait immédiatement prévenir le garde de notre présence pour nous verbaliser.
Nous poursuivîmes notre promenade pendant 500 mètres, bien sur nous n’étions plus en état d’apprécier ce pourquoi nous étions venus. Evidemment nous ne nous taisions plus mais ressassions le comportement impulsif de cet homme et notre désarroi devant la situation, qui, il faut malheureusement le constater, n’était pas une première pour nous.
Finalement, nous fîmes demi-tour. Sur le chemin du retour nous croisâmes des chasseurs en poste tout le long du chemin, dans leurs habits fluo, le fusil à portée de main. En bout de piste un panneau posé au sol indiquait « battue en cours, soyez prudent », mais aucun qu’il s’agissait d’une propriété privée.
Quand bien même il serait agit d’une propriété privée, à ma connaissance le code rural ne réprime pas l'intrusion pédestre, même pancartée. Seule l'intrusion dans le domicile : maisons et jardins, est interdite.
Quoi qu’il en soit, comme nous le soupçonnions notre homme avait bluffé et cherché à nous imposer sa volonté. Pour assouvir sa passion le chasseur ment, menace et fait régner un climat de terreur.
Le samedi suivant (1er octobre) dans la forêt domaniale de la Grésigne (Tarn), forêt que je connais depuis 25 ans et dans laquelle je me rends régulièrement pour le raire.
Cette année j'y suis avec un ami naturalise et nos fils respectifs (7 et 12 ans).
A 17h nous laissons la voiture sur une route goudronnée en lisière et entrons dans la forêt pour nous rendre sur mon point d'écoute et d'observation préféré (30 mn de marche). Nous y parvenons et nous nous installons sur un mirador créé depuis quelques années. J'ai connu ce site sans mirador.
La soirée s’annonce sous de bon hospices avec l’observation de deux cerfs, et le brâme de 4 individus distincts aux alentours, quand deux hommes armés de fusils à lunette passent. Le premier me fait un signe de la main signifiant "Non ! Descendez !". Ce que je fais pour comprendre ce que souhaite cet homme. Nous échangeons, distant d’une dizaine de mètres. Il m’informe que « nous n’avons rien à faire ici" et nous demande « de repartir ». Interloqué, je lui demande des explications, il me répond qu'il est garde ONF (il a une tenue camouflage mais aucun insigne apparent), qu'il chasse à l'approche pour effectuer un tir sélectif, que notre présence dérange et fait fuir les animaux, qu'il est interdit de se promener en forêt domaniale en cette période car c'est dangereux. Enfin, il affirme et maintien que tout ceci est indiqué sur des panneaux aux entrées de la forêt. Je rétorque que je viens ici depuis 15 ans, au brame dans cette forêt ou en Barousse (Pyrénées), et que nous sommes évidemment discrets dans notre écoute.
Jamais auparavant un garde ne m'avait fait ce genre de remarque, bien au contraire ils m’ont toujours incité à ouvrir l’œil et les avertir en cas de comportement douteux de certaines personnes.
L’homme qui se prétend garde ONF insiste en disant qu'il va me verbaliser si je ne m'exécute pas et que le mirador est interdit d’accès, qu'il l'a lui-même installé il y a 15 ans et qu’en cas d’accident (chute de l’un de nous) il sera responsable. Je conteste la période d’'installation du mirador que je sais bien plus récente. Devant ma certitude il est moins affirmatif et opte pour une création remontant à environ 10 ans. En fait il ne sait pas trop, et son comportement stupide et autoritaire est désolant et peu flatteur pour un policier de la nature. Ses propos agressifs ne ressemblent en rien à ceux d’un agent ONF ou ONCFS.
Je décide de calmer le jeu en m'approchant et lui tendant la main J'argumente avec l'aspect pédagogique pour les enfants, et sur le fait qu’il est moins dérangeant pour la faune et en l’occurrence les cerfs, d’affuter depuis le haut du mirador qu'à son pied...
Il m'ordonne de ne pas remonter sur le mirador. Nous acceptons pour ne pas envenimer le débat mais nous restons sur le site.
Il me demande de quitter les lieux sous peine de procès verbal.
Devant sa menace de me verbaliser je lui réponds que je m'exécuterai s'il me prouve sa fonction et mon infraction. En tant que membre d’associations naturalistes je rencontre régulièrement et connais plusieurs agents des services de la nature (Parc nationaux, ONF, ONCFS) et le comportement de cet homme me semble démesuré, voire anormal pour un représentant de l’Etat.
Sur ce, il me demande mon nom et d'où je viens, honnête je lui donne ces renseignements. Il veut aussi savoir où je suis stationné, de la même manière je n’ai rien à caché et je lui dis.
A mon tour j'obtiens son nom (de mémoire : M. Rigaud, garde ONF), et il m'invite à lui rendre visite à la maison forestière de la « grande barraque » en forêt de Grésigne dès le lendemain. Ce que je ne ferais pas car nous avions un autre programme de prévu.
Ils sont repartis et nous avons fait une heure sur place puis avons décidé de remonter doucement vers la voiture pour éviter toutes nouvelles rencontres avec ces mêmes personnes. En remontant j'ai effectivement vu un 4X4 blanc de l’ONF (Nissan ou Mitsubishi) garer sur la piste à 300 mètres du mirador.
Postés en forêt au dessus du véhicule, nous entendons nos deux chasseurs revenir au véhicule à 20h15 (à la nuit) et repartir, effectivement vers la maison forestière de « la grande barraque ».
Mis à part ces deux hommes nous n'avons vu personne d'autres et pu profiter quand même un peu de l'ambiance (une dizaine de cerfs au raire et des chouettes hulottes). Mais habituellement je reste bien plus tard. Cette fois à 21h30 c'était plié. Mon ami était étonné que de tels comportements puissent exister entre passionnés de la forêt et de ses hôtes ; mon fils, après avoir eu peur reste dans l’incompréhension, et nous tous très déçus par les hommes mais non par la nature, qui elle, ce soir là, nous offrit une belle soirée.
Cependant, je suis convaincu que mes deux expériences ne sont pas des cas isolés et je crois qu'un jour ou l'autre cela finira mal entre les contemplatifs pacifiques de la nature et les exploiteurs armés de cette même nature.
Il est temps que le législateur prenne conscience du problème. Les chasseurs ne sont pas majoritaires, cette affirmation trop souvent entendu est fausse.
Comment peut-on au 21ème siècle accepter que des coups de feu soit tiré dans la nature le dimanche ? Comment la chasse qui n’est plus une nécessité peut-elle encore imposer sa loi aux personnes qui désirent contempler, se promener, méditer ?
Comment peut-on accepter que le cerf soit chassé à l’approche en période de rut, et à courre ensuite (du 15/9 au 31/3 en Grésigne), sans jamais avoir le moindre répit ? Il importe de savoir que le rut dure un mois, que les cerfs se nourrissent peu, dorment peu, et sortent épuisés et affaibli de cette période.
Tout ceci est motivé par le besoin de dominer la nature (tuer) et faire du commerce (remplir les congélateurs).
Je sais qu'aujourd’hui on ne peut opposer la philosophie à la législation, toutefois j’en termine en laissant à vos réflexions ces remarques issues de mes deux mésaventures :
-Entre un couple qui marche calmement sur une piste avec chien en laisse et un groupe d'hommes armés, en 4X4 sur les pistes et une meute de chiens hurlante qui court sous les futaies, je vois de suite qui dérange le moins et qui doit être prudent. Et vous ?
-Le brame idem : entre un observateur statique et celui qui se déplace avec fusil à lunette : Les uns viennent écouter la vie, les autres la "sélectionner".
-Je suppose que l'agent ONF accompagnaît un "client" faire un beau trophée, n’y aurait-il pas mélange entre loisir et travail de la part de ce garde ?
Pour rappel :
Un agent qui interpelle doit être revêtus de son uniforme et des signes distinctifs de la fonction (écusson, plaque, etc). Une personne en civil n'a pas à demander une identité.
Les agents ont un ton ferme mais poli et cite le cadre réglementaire sur place si besoin est.
Sauf réglementation locale spécifique, rien n'interdit non plus d'observer le brame depuis un mirador, eut-il été construit pour la pratique de la chasse.
L'usurpation d'identité et de fonction, est un délit du code pénal.
Michel CHALVET